Organisée les 24 et 25 juin à Champéry, l’édition 2021 des Journées romandes des arts et métiers a été placée sous le thème «La numérisation» avec:
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André Berdoz, vice-président usam
10h30 C’est sous un ciel chargé et menaçant que se sont ouvertes les 54es Journées romandes des arts et métiers (JRAM). André Berdoz, vice-président de l’usam s’est adressé aux invités dans son allocution d’ouverture. «L’année dernière, nous pensions sortir d’une crise sans précédent. Aujourd’hui, nous y sommes toujours. Osons dire… pas de reconfinement cet automne!» Nous parlerons cette année de numérisation, un thème qui nous intéresse de plus en plus et qui a pris beaucoup d’importance durant cette pandémie. Et nous accueillons chaleureusement la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, cheffe du DFJP. Voici un bref rappel des mesures de protection.
André Berdoz, vice-président de l'usam, ouvre les 54es Journées romandes des arts et métiers, placées sous le thème de la numérisation.Karin Keller-Sutter, conseillère fĂ©dĂ©rale cheffe du DFJP : Je vous remercie de cet accueil chaleureux. Les JRAM sont un rendez-vous incontournable en Suisse romande. Nous sortons d’une Ă©preuve collective. Les tensions ont parfois Ă©tĂ© très fortes. De nombreuses entreprises ont dĂ» s’adapter Ă la numĂ©risation. Le Certificat Covid est un autre enjeu. Sur le sentiment de mĂ©fiance, l’identitĂ© Ă©lectronique prĂ©sente un paradoxe. L’initiative sur les entreprises responsables aurait Ă©tĂ© acceptĂ©e si seuls les moins de cinquante ans avaient votĂ©. Le oui au partenariat avec l’IndonĂ©sie a Ă©tĂ© acceptĂ© mais avec un rĂ©sultat serrĂ©. Les 18 Ă 39 ans ont rejetĂ© le texte.
Sur trois objets soumis au vote en 2020 et 2021, la même méfiance s’exprime, en particulier en Suisse romande, et sur l’Arc lémanique, région pourtant dynamique économiquement. On assiste à l’émergence de nouveaux acteurs qui impactent les campagnes de votation. Nous entrons dans une phase délicate. La crise a montré que les égoïsmes reprennent le dessus. Au plan fiscal et à l’international aussi, l’environnement devient de plus en plus hostile. Il faut rester compétitif et attractif. C’est payant, la Suisse est première au classement de l’IMD.
Un pour tous, tous pour un, c’est ce qui va guider notre action. Notre marge de manœuvre financière pour amortir la crise n’est pas un hasard. Le frein à l’endettement a été accepté par le peuple. Maintenant, l’Etat doit retrouver son rôle d’avant la crise. Nous devons retrouve la confiance. Lutter contre les doutes. Il n’y a pas de recette miracle. Il faut renouer le dialogue. Vous allez jouer un rôle dans le rétablissement de la confiance et vos atouts sont nombreux. Ces dernières années, l’économie a été un bouc émissaire trop facile. Je vous souhaite des échanges nourris et amicaux. Et me réjouis de discuter avec votre président Fabio Regazzi.
10h52 Débat avec Fabio Regazzi, président usam animé par Jérôme Favre.
Sur la manière dont vous avez vécu cette crise?
Karin Keller-Sutter: Regagner la confiance, cela veut dire sortir. On ne peut pas rétablir la confiance à distance. Le Palais fédéral ressemblait à une maison hantée, toute vide. Pour développer des idées, échanger des idées, il faut se voir physiquement. J’ai vécu des périodes plus intéressantes. Je n’avais plus vu deux de mes frères depuis l’année passée.
Fabio Regazzi: Bonjour à tous, je suis impressionné par la maîtrise de la langue française de notre conseillère fédérale. Sur la numérisation, tout le monde parle de numérisation, mais quand on va dans le concret, on bute contre une certaine méfiance, comme vous l’avez dit. Deuxième point, le sentiment de mécontentement de la population. Il faut retrouver cette confiance.
Etes-vous content du travail du Conseil fédéral?
Fabio Regazzi: Nous avons été critiques, dans une démocratie c’est légitime. Je n’envie pas le Conseil fédéral d’avoir dû prendre de telles décisions. En tant qu’association, il est légitime de ne pas être d’accord et de le faire savoir démocratiquement, d’en débattre publiquement, de se confronter.
Qui de ces mesures antilibérales, est-ce difficile pour vous comme PLR?
Karin Keller-Sutter: Oui, ce ne fut pas facile de limiter les libertés. Mais il fallait protéger la population et les entreprises, ce n’a pas toujours été un plaisir. Cela m’a beaucoup préoccupé. Durant une crise, le gouvernement doit être fort. Nous sommes en train d’en sortir. Je comprends ce que dit Fabio Regazzi. J’ai eu de la pitié pour les restaurateurs, les artisans qui ne pouvaient rien y faire. Vos soucis pour payer les factures, payer le personnel.
Sur les relations à l’UE, en enterrant cet accord-cadre, a-t-on créé de nouveaux problèmes?
Fabio Regazzi: Au moins on peut regarder vers l’avenir. Il y aura des difficultés mais je suis confiant. Le point de rupture est passé, ce fut le plus dur. L’Europe aura aussi intérêt à se remettre à la table des négociations. Ce ne sera pas un chemin facile, mais il faudra le faire. On finira par trouver des solutions.
Une volonté d’être raisonnable et de trouver des solutions au Conseil fédéral?
Karin Keller-Sutter: On ne peut pas continuer les négociations quand on est dans une impasse après sept ans. Il y aura une reprise de la discussion. Nos échanges avec les pays voisins fonctionnent de manière concrète, c’est de là qu’il faut repartir. Je suis responsable de libre-circulation, cela marche dans le concret. Le Brexit a aussi beaucoup influencé la Commission – qui était sous le choc. En reprenant une certaine distance, c’est dans l’intérêt de l’UE de retrouver de bonnes relations avec la Suisse.
Fabio Regazzi: C’est vrai que nous avons trainé et que cela a créé de la nervosité au sein de la Commission européenne. Mais tout le monde voit aussi que nous n’aurions pas eu une majorité en cas de votation de l’accord tel qu’il se présentait. Par réalisme politique. Il faut aller de l’avant et trouver un dénominateur commun entre nous.
Quel est l’agenda?
Karin Keller-Sutter: Nous voulons stabiliser la relation. Puis il faudra voir s’il y a des écarts entre la Suisse et l’UE et si cela vaut la peine d’adapter certaines situations. Il faut laisser retomber la poussière, une reprise sera difficile avant les élections de 2023.
Confiance et CO2, méfiance entre villes et campagnes: comment travailler sur ce dossier pour un compromis acceptable?
Fabio Regazzi: Le bateau était surchargé, et je pensais que cela serait difficile devant le peuple. On a perdu beaucoup de temps en préparant cette loi qui a échoué devant le peuple. Nous avons donné hier une conférence de presse sur ce sujet. Il faudra trouver des compromis. Il y a encore un potentiel non exploité – pour des mesures simples – et que les forces les plus extrémistes se mettent à la table des négociations.
Karin Keller-Sutter: Je ne suis pas convaincu par l’existence du fossé ville campagne. Les villes sont aussi plus à gauche que les campagnes. La confiance se retrouve par le débat. Il faut pouvoir s’exprimer librement ce qui n’a pas forcément été le cas.
Jean-Henry Morin, UNIGE: En automne 2010, la conseillère fédérale Doris Leuthard constatait un retard et tirait la sonnette d’alarme. Puis ce fut la première journée numérique à Bienne. Un expert a dit que la Suisse parlait trop et agissait pas assez. Puis plus grand-chose. Pourquoi en est-on là . D’abord la Suisse souffre d’un complexe de supériorité. On est numéro 1 sur tout. La Suisse s’est construite sur une expertise technique. Cela suggère ce réflexe de l’ingénierie. On trouve une piste pour faire.
La mauvaise nouvelle est politique. Pourquoi un politicien prendrait la responsabilité d’un dossier aussi coûteux. Mais les lignes sont en train de bouger. On peut agir sur l’offre. Sur les grandes entreprises. Un débat sur la responsabilité numérique émerge. Pas en faisant des lois pour faire des lois. Il faut imposer une sorte de cadre. Fatalité ou opportunité. Je suis un optimiste. La question n’est pas si, mais quand. Et partir tard n’est pas un problème, on peut profiter de l’expérience des autres.
Une PME n’a pas les moyens de faire de la veille technologique. Il y a donc un travail de conscientisation, qui doit être accompagné par des politiques publiques. La Suisse représente 1/3 du grand Séoul. C’est tout petit. Mais il faut un timonier. Il faut renoncer un peu à cette spécificité cantonale. Le Gothard du numérique, c’est l’expression de Doris Leuthard. Quand j’ai entendu cela, j’ai dit alleluia.
André Berdoz, vice-président de l’usam sur sa participation à EasyGov: Je donne mon avis de patron, avec les électriciens et les fiduciaires. Nous avons été extrêmement concrets dans notre appréciation. Nous avons été présents huit ans sur ce projet. Nous avons mis l’accent sur toutes les relations avec la Confédération. C’est utilisé par 40'000 entreprises actuellement sur 600'000. Le SECO doit faire un effort de communication pour soutenir le projet. Nous sommes en train de faire en sorte que les cantons et les communes soient aussi intégrés. Durant la pandémie, nous avions donc une solution à disposition. Pour les crédits Corona sur cinq ans, 40 milliards ont été mis à disposition en deux semaines. Pour remplir un formulaire, il fallait 10 minutes. .60'000 demandes ont été déposées en cinq jours ! Une leçon à retenir, c’est que les petits patrons n’avaient souvent pas de réserves. Parmi les facteurs de réussite, pas de bureaucratie, confiance et assurance, partenariat public-privé. Donc c’est une success-story et non un cancre numérique.
Catherine Pugin, État de Vaud: Faut-il toujours faire du numérique ou seulement quand c’est utile ? Le numérique, ce n’est pas seulement technologique, c’est aussi une culture. La confiance est centrale. Il y a aussi une prise de conscience politique. Je suis à ce poste de délégué depuis début 2020. Les différents cantons s’organisent, la Confédération aussi, sur ce thème de la transformation numérique, une conférence latine a été créée également pour mutualiser les expériences, éviter de faire les choses tout seul dans son coin. En 2022, une nouvelle plateforme sera lancée, plateforme politique suisse, avec, communes, cantons et Confédération. Dans le Canton de Vaud, la stratégie numérique a été créée en 2018. Point important, la souveraineté et une démarche inclusive. Avec des thématiques fortes, comme la gouvernance avec plus de transversalité en cassant les silos. Sur les infrastructures et la sécurité, les datacenters, les réseaux. Une grande réflexion se met en place sur l’éducation et la sensibilisation, l’accompagnement des entreprises également, la fixation d’une politique sur les données. Nous essayons de mettre en place un numérique responsable en se posant les bonnes questions en amont. Nous essayons de comprendre quels sont les besoins des gens, en particulier les collaborateurs de l’Etat. Il y a encore des gens qui ont des problèmes pour ajouter un fichier à un e-mail. Nous essayons de faire de la veille technologique. Le Canton du Jura a lancé un projet sur la blockchain, ce qui est hyper innovant.
Stiépan A. Kovac, CEO de QR Crypto à Fribourg: A la base de la protection des données, de blockchain, il y a la cryptographie qui est à la base de la sécurité informatique. C’est la pierre angulaire. Je parlerais de QRC pour sécuriser la 5G. Nous sommes à l’aube d’une révolution, il y aura des ordinateurs quantiques qui seront encore bien plus rapides sur la vitesse de calcul. Cette nouvelle vitesse inquiétera à son tour la sécurité du jour au lendemain. Et pourtant, nous aurons besoin de protection supplémentaire pour les données, en particulier pour tout ce qui va concerner les systèmes de santé, sans oublier les questions militaires. Car d’ici 2030, la cryptographie actuelle sera cassée. De nombreux logiciels actuels devront être adaptés. Il faut adapter la cryptographie au monde post-quantique…le plus important, c’est le standard X.1811 qui permettra de sécuriser la 5G. Et peut-être pour la 6G, selon une spécialiste chinoise. Un enjeu, c’est notamment d’avoir des cartes SIM résistantes.
Animation par Lennig Pedron, directrice Trust Valley
Alexa Krattinger, usam, organisatrice des JRAM: En raison du mauvais temps, nous resterons ce soir à la hall Curling au Palladium pour la soirée raclette, donc ni téléphérique, ni petit train, juste votre bonne humeur. Voici Lennig Pedron est experte en cybersécurité, elle est directrice de la Trust Valley et experte pour la Confédération.
Lennig Pedron: il y a deux ans, nous avons lancé un projet sur la confiance numérique. Avec les cantons de Vaud et Genève, EPFL et universités. Avec Trust Valley, nous nous adressons aux start-up et à notre tissu suisse des PME – avec quelques grandes entreprises. Nous préparons un programme d’accélération pour les PME.
Mikael Huber, responsable numérisation usam: J’ai participé à de nombreuses discussion. Souvent on pense à un objet, mais c’est en fait une dynamique. L’usam veut flexibiliser le droit du travail qu’il faut adapter au télétravail. Deuxième problème, la mise en réseau, les entreprises développent cela dans un silo. Le chemin de fer s’est développé au 19e siècle, et en raison des nombreux acteurs, il n’y avait pas de correspondance. Dans le numérique, on doit aussi développer l’interopérabilité. Dans le monde automobile, on n’avait pas de ceinture. Maintenant la sécurité s’est développée. Avec le numérique aussi, il faut développer des protections. La cybercriminalité est importante pour l’usam. Le numérique présente une chance et aussi un moyen de gagner plus d’argent. Pour sensibiliser les PME, à l’usam, nous avons avec une série d’articles. Nous avons aussi demandé un appui au centre national pour la cybersécurité. Il existe des instruments qui permettent aux PME d’aller se faire tester. Nous encourager les responsables à le faire.
Alain Stegmann, Centre de formation professionnelle: Je dirige un centre en Berne francophone, deux mille élèves, quatre domaines, 34 métiers différents. Derrière ces métiers, des entreprises formatrices, et derrière elles, les Ortra, les organisations du travail. Je vais prendre la formation de charpentier. On parle désormais de compétences. Une plateforme numérique et un Ebook existe pour les élèves, ces derniers l’enrichissent. C’est une approche du numérique. L’école doit mettre en place l’accès au réseau. Il faut mettre en place des cours informatiques. On a mis à disposition des imprimantes 3D pour voir si leur réalisation est fructueuse. Pour le numérique, il faut des compétences transversales. Il doit pouvoir collaborer et progresser, travailler de manière autonome aussi. On prépare nos jeunes pour qu’ils puissent continuer à se former. On a des outils, comme la CNC, dans la charpente, on les initie à ces instruments.
Parmi les écueils, nos jeunes ont une facilité avec les réseaux sociaux, les jeux. Toutefois, ils ont une tendance au zapping, il faut pouvoir se concentrer jusqu’à la fin d’une tâche. Notre approche pédagogique est très variée, l’enjeu c’est aussi de préparer et de former nos enseignants. Et pour conclure, la Suisse reste la championne de l’innovation, ce qui ne veut pas dire championne du numérique.
Comment les jeunes perçoivent le numérique? Ils ne le perçoivent pas, ils sont dedans. L’enjeu, c’est d’utiliser ces compétences aussi au plan professionnel. Sur le plan pédagogique, comment faire pour arriver à intégrer cela dans la formation.
Maurizio Caon, HEG-FR: La transformation numérique est d’abord humaine. La nouvelle génération, pense-t-on, va résoudre les problèmes. Il suffirait d’attendre. Mais en fait, tout le monde est utilisateur. Ce que nous voulons, c’est de résoudre des problèmes complexes avec ces outils et de manière créative. Nous avons mis en place un groupe interdisciplinaire de recherche sur le numérique. Un premier instrument leur permet de se situer où ils en sont, s’ils ont une stratégie. Pour les entreprises, c’est comme une visite sur le psy. Cela stimule la réflexion. Et ensuite, pour implémenter des projets. Comment les PME vivent cette révolution numérique ? Les entreprises ont-elles déjà commencé à investir. Les entreprises pensent-elles de manière dynamique à l’avenir ? Créent-elles de nouveaux modèles d’affaires?
Joël Dumoulin, Idiap: Une parenthèse, en Suisse, on est fort, mais évitons les excès de confiance. J’ai commencé par un apprentissage et fini par un doctorat. On a tout ce qui faut pour aller vers l’excellence. A l’Idiap, on fait de l’intelligence artificielle depuis l991, avec aujourd’hui 14 groupes de recherche. Au plan suisse, on a de bons outils, comme Innosuisse. Pour les PME, l’intelligence artificielle semble un peu abstraite. Cela prend du temps et cela coûte du temps, notamment pour la collecte de données. Nous avons un master qui permet de se faire une idée plus claire sur ce qu’il est possible de faire au niveau de l’entreprise.
Gil Grandjean, Swisscom: J’ai été ce patron PME qui voulait optimiser les processus, d’apporter de l’intelligence artificielle et des automatismes. Je devais envoyer des factures et améliorer ma rentabilité, je n’avais besoin de rien d’autre. Un beau jour, inondation. L’eau monte. Les serveurs étaient à deux centimètres de l’eau. Vendredi soir à 19h. Avec le risque de perdre toutes ces données. Le concierge a trouvé une solution et j’ai pu partir en week-end. Un collègue m’a dit que trois de ses clients se sont fait attaquer (au plan informatique). On arrive souvent trop tard. Notre but est de conscientiser les PME assez tôt. C’est un long processus, il faut beaucoup y réfléchir. Il ne faut pas forcer les choses. Changer une mentalité, cela prend du temps, 6, 8, 12 mois. On propose du conseil, de l’audit, de l’assessment. Chaque secteur a ses propres problématiques. Comme provider de solution, nous devons nous intégrer. Depuis 1 année et demie, il y a beaucoup d’attaques. C’est la sécurité qui prime aujourd’hui. La cybersécurité est un élément essentiel. On en parle tous les jours dans les médias. Je me réjouis qu’on puisse parler de choses plus positives, d’intelligence artificielle.
Lennig Pedron: Quels conseils donneriez-vous aux PME?
M. Huber: Sur Swiss Label, nous avons réalisé qu’il fallait tout repenser de A à Z. Pour mieux atteindre nos objectifs dans un monde digitalisé.
M. Stegmann: merci aux PME qui s’engagent, vous préparez la relève. Continuer à bien former et à donner du temps
M. Caon: deux facteurs sont importants: leadership et culture d’entreprise. Vers une résolution collaborative avec des moyens numériques.
Lennig Pedron: Ce qui réunit tout le monde, c’est la confiance numérique. Faire confiance à nos outils, à ceux qui conçoivent ces outils.
Line Pillet, HES-SO VS et Femmes PME Suisse romande: J’aimerais commencer par une image évocatrice, une salle de conférence vide. Situation que nous avons tous vécues. La distance a été opérationnelle et relationnelle. La technologie nous a permis d’effectuer cette transition. Un enjeu, ça a été de me faire confiance, et de faire confiance aux gens. Trouver d’autres manières de faire confiance. Et cela vaut la peine. Si on prend une vue hélicoptère, on a tous vécu cette crainte d’être dépassé, par la technologie, et en même temps, nous avons une vision idéalisée. Souvent par intelligence, on entend la dimension analytique, mais il y a aussi l’intelligence créative, savoir s’ouvrir à d’autres aspects. Et aussi l’intelligence pratique, la dimension contextuelle. Le défi, c’est d’intégrer les technologies dans une stratégie globale. Au centre, on a nos entreprises, des gens qui tous les jours mobilisent leurs compétences. Autour, il faut construire une infrastructure, où se trouvent les technologies. A cela s’ajoutent les données, les datas. Mobilité, service, bâtiment, domestique, santé, commerce, la technologie peut nous aider. Or pourquoi tous ces services, pour être au service de quelqu’un qui en bénéficie. La vision, c’est de développer une alternative au service du bien commun. Favoriser une économie de proximité basée sur la confiance. Travailler dans des écosystèmes décentralisés pour se libérer des monopoles qui étouffent la concurrence et nos libertés. Promouvoir le questionnement et les pratiques éthiques créatives. Remettre la technologie au service des compétences pour répondre à de nouveaux défis. Qu’entendez-vous par compétences ? On parle de compétences techniques. Mais aussi des compétences de gestion, de design, pour avoir des plateformes plus simples et agréables. Sur la santé et l’ergonomie. Et ce qui permet de réduire la fracture numérique. Bref, à tous les niveaux, des compétences à développer. Et sur l’autodétermination ? Prenons Uber Eat, amène une certaine précarité de l’emploi. En Valais, on a une société valaisanne pour les Valaisans, c’est ce que les gens recherchent. Arrive-t-on à développer des écosystèmes décentralisés. C’est ainsi que la confiance remonte.
Camillia et Lara Berra, Hôtel Suisse Champéry: Nous avons repris l’hôtel et entamé une réflexion sur le développement autour de l’hôtel qui reste central. Sur la numérisation ? Le problème c’est que cela nous donne beaucoup plus de travail. Au final, nous sommes connectées en permanence, c’est beaucoup plus lourd et contraignant, en plus de tout ce qu’il faut faire pour les assurances sociales. Nous avons fait un projet pour augmenter la digitalisation et notre modèle d’affaire est en train d’évoluer. Avec des séminaires, tout en gardant ce contact pour qu’ils comprennent que nous sommes avec eux sur place. Sur l’intelligence artificielle, j’aimerais pouvoir parler directement à un robot ! Mais cela ne marche pas encore comme ça.  Une chance, c’est que nos parents n’étaient pas fermés au changement. Mais notre transition n’est pas terminée.
Pascal Meyer, Qoqa: il y a cette tension, d’un côté les gens veulent être visibles et référencés. De l’autre, ils ont la trouille de se faire pirater. Il ne faut pas penser que l’on perd la proximité avec les gens en étant digitalisé. Mais le digital ce n’est pas se limiter à Facebook. On a lancé plusieurs initiatives pour aider les petits commerçants à se digitaliser. C’est l’accès aux outils et à la compréhension, avec un langage adapté. Une cyberattaque ? Notre connaissance était totalement impuissante. Tout est un risque qu’on prend. C’est comme si on laisse son porte-monnaie avec cinq mille francs dedans. Ce que nous faisons contre les cyber-attaques. On mandate une société externe pour nous faire un rapport – en prévenant plutôt qu’en guérissant.
Caroline Matteucci, Cryfe: profileuse, intelligence artificielle, soutenu par Innosuisse. Je suis observatrice de l’humain. L’humain ne peut pas ne pas communiquer. Il y a le rôle social et l’authenticité. Comment on va rencontrer l’autre, tel qu’il est, avec ses failles, c’est la question. Si vous ne m’aimez pas vous n’allez pas m’écouter. On va analyser la voix et la gestuelle sur la base d’interview. Comment les PME peuvent utiliser ces outils ? La première faille, c’est l’humain. L’humain est relié, c’est le dernier écosystème.
Frédéric Despont, Icube SA: J’ai envie de parler de ski. On peut commander notre paire de ski en ligne. Autrefois, seuls les champions pouvaient aller chercher leurs skis à l’usine. Les beaux volets des chalets de vacances, on peut aussi les commander en ligne. On peut utiliser le numérique pour reconnecter les gens. La reprise d’une entreprise familiale ? on s’est réapproprié le truc et on l’a réinventé. Le monde numérique, il faut y entrer par petits pas. On a mis en place des petites valises d’outils. Un artisan qui n’a pas les moyens peut même faire de la maintenance prédictive.
Jean-Pierre Perdrizat, IFFP: Sur le développement des métiers, des plans de formation, on nous pose souvent la question : combien de métier existeront encore dans quinze ans et quels sont les métiers futurs ? Difficile de répondre à cette question prospective. C’est l’économie qui dicte le rythme de ces évolutions. Cette évolution est toutefois beaucoup plus rapide, à un rythme annuel. La numérisation est au centre. Sur la formation continue, il faut assurer la formation des enseignants, des experts, des moniteurs de cours interentreprises. L’intelligence artificielle et la numérisation apporte un soutien pour transmettre des principes, et des éléments plus compliqués à expliquer – également aux apprentis. Au niveau de la procédure de qualification, on intègre des composants d’intelligence artificielle – afin de réduire les coûts et faciliter l’acquisition et le travail. La coordination entre les différents lieux de formation est également facilitée. Comment l’IFFP profite de l’IA et du numérique ? La rapidité de l’évolution est importante et il faut du temps pour développer un métier, parfois six ans, ce qui est trop lent. Nous devons donc accélérer le processus. Il faut par ailleurs que nous prenions encore plus en compte les besoins des entreprises et pour cela nous avons besoin de tels outils. Les besoins de numérique sont différents selon les métiers. Comparaison entre tertiaire et agricole: les agriculteurs ont aussi besoin de numérique (robots, drône, paiements directs), donc la volonté existe aussi de numériser dans l’agriculture.
Isabelle Collet, UNIGE: La non-mixité dans les Hautes écoles romandes. Informatique de gestion 18%. Est-ce un problème ? Pour les femmes oui, ce sont des métiers porteurs. Pour l’industrie ? Non, dans l’intelligence artificielle si la population est trop homogène. Par exemple la reconnaissance vocale et d’autres dimensions. Nos étudiants suisses en sont-ils capables ? Oui, selon les études Pisa. En ont-elles envie ? Pas forcément. La socialisation différente des filles et des garçons. Le garçon sur cette image tient un fichier de math et la fille regarde. Il y a aucune stratégie sexiste de la part de Google, c’est simplement ce qui ressort. On ne changera pas la donne simplement avec de la sensibilisation. Il faut agir sur les institutions. En l’espace de 2-3 ans, on a passé à 40-50%. La formation des enseignants aux questions de genre en informatique est un facteur important.
Pierre Dillenbourg, EPFL: Quel est l’effet des médicaments sur la santé ? et l’effet de l’intelligence artificielle sur la formation. Cela a aussi peu de sens. Ce n’est pas un paquet, ce sont des outils différenciés. Machine learning, apprendre en comparant des exemples positifs. Et les compétences ? Que doit savoir une personne formée dans la formation professionnelle. A l’EPFL, nous avons 44 cours sur le sujet qui s’est de plus en plus spécialisé. Mais je travaille aussi depuis des années avec les charpentiers, les jardiniers, les peintres. Prenons le boulanger doit connaître sur l’IA ? Marius fait la meilleure cuchaule. File d’attente, je rentre chez moi sans cuchaule. Motif de divorce. Marius pouvait-il le savoir. Il sait combien il a vendu l’année passée, la météo, dimanche de votation, etc. C’est assez facile. Mais c’est une attitude qui consiste à observer ses données, pour un professionnel. Il faut donner ces compétences à nos boulangers pour qu’ils aient leurs chance face aux multinationales ! L’offre de cours online est très importante. En emploi, ce n’est pas évident d’apprendre le machine learning. Nous avons 3 millions d’inscrits, mais il y a beaucoup d’abandons dans les cours purement en ligne. On peut former des élèves à la pensée algorithmique sans ordinateur. Il ne s’agit pas de coder, mais de former des citoyens. Tous ces algorithmes analysent des données, il n’y a pas beaucoup d’intelligence. Au bout de 20000 exemples, il va dire: c’est plutôt A que B.
Solange Ghernaouti, Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group (SCARG): Nous avons mis le monde en données par des traitements mathématiques. Nous avons médié nos connaissances et nos habitudes. Toute la société est réorganisée par des programmes informatiques. (Son chien, un caniche, arpente la scène). Mon chien, c’est mon assistant numérique, il est pucé. Il renifle les virus informatiques ! Bientôt, nous serons aussi tous pucés. On est le fruit de cette évolution. Mais on peut questionner ces avancées technologies pour qu’elles se traduisent aussi en avancées sociales et humaines. Nous sommes en train de devenir des instruments qui captent des données. Les acteurs du numérique se concentrent sous la forme de plateforme. Nous devons intégrer des démarches de protection car nous sommes potentiellement en relation avec des gentils et des méchants.
Dominique Vidal, SecuLabs: Dans les années 2000, les serveurs ont été exposés sur Internet. Tout s’est mis en place, avec de gros acteurs comme Amazon. On avait beaucoup de portes ouvertes, des services avec lesquels on pouvait échanger et trouver des failles. Cela a toujours été le jeu du chat et de la souris, puis la mise en place des premiers firewalls. Les pirates se sont adaptés en continuant à trouver des failles dans les services. Plutôt que d’attaquer directement le serveur, on lui a ensuite demandé de nous adresser un lien. On évolue vers une complexité grandissante. Avant, on recherchait de l’information. Aujourd’hui, celle-ci est publique. Aujourd’hui, la situation se caractérise par le développement du cloud professionnel. La complexité est aussi valable pour le pirate, c’est l’aiguille dans la botte de foin, pour trouver une faille, une erreur exploitable. J’ai fait dix ans de concours de hacking. Pour être pertinent sur la défense, il faut être pertinent sur l’attaque. Quel est le but des attaquants ? Ils veulent gagner de l’argent facilement sans prendre de risque ni aller en prison. Dans les tendances, sur les crypto monnaies, il y a le phénomène du blanchiment électronique d’argent. Autre tendance, sur les VPN, on paie quelques dollars et on a la possibilité d’être anonyme. C’est un scandale. On peut même apparaître comme ayant une connexion dans un pays donné et en restant anonyme. Deux axes majeurs d’attaques : la surface exposée sur Internet et le poste de travail. Ce dernier est la cible numéro un. Avec un phishing (hameçonnage), un e-mail préparé avec une pièce ajoutée dont l’ouverture permet de récupérer le mauvais logiciel et l’installer sur votre poste de travail. J’ai dû intervenir sur des cas dans le monde médical. Le bon moment choisi, c’était le week-end. Pour éviter que l’on se rende compte du ralentissement du système. Que faire quand cela s’est produit ? Comment reconstituer les attaques ? Quels erreurs les pirates ont-ils éventuellement commises ? Quelles demandes de rançon ont été faites ? Que faire, quelles sont les perspectives ? Le cloud peut aider. Les contraintes réglementaires aussi. Et les nerfs de la guerre sont le backup hors ligne, la protection du poste de travail et la sensibilisation de tous les collaborateurs.
Sheraz Ahmed, Storm Partners: Nous sommes un prestataire 360°. Et je représente aussi la Crypto Valley. Le Bitcoin créée en 2009 est arrivé en Suisse en 2013. En 2015, Ethereum a été créée à Zoug. En 2018, la Finma a classé une classification avec deux autorisations données en 2019. En 2021 la Finma a approuvé le « security token ». 960 sociétés en Suisse dont la moitié à Zoug, et représentent 5184 emplois en Suisse et 11 licornes. Pourquoi la Suisse ? En raison de la stabilité et de la confiance, du Swiss Made, même si on est un peu plus lent.
Emilie Raffo, ChainSecurity: Nous sommes une entreprise de cybersécurité dans la blockchain. On audite le code des logiciels avant de sortir, pour éviter les failles. Le plus important, c’est que toutes les informations, vous ne pouvez pas les vérifier vous-mêmes. En auditant le code, on peut s’assurer que la cryptomonnaie fait bien ce qu’elle promet. Sur Ethereum, ce qui est intéressant, c’est la finance décentralisée qui n’existe que sur la blockchain. On peut placer la cryptomonnaie sur un compte d’épargne et de générer des intérêts ou de l’utilisation comme un collatéral. Tous les codes sont open source. Donc il y a énormément de risques liés à cela. J’ai écrit un livre qui s’appelle «Le futur des espèces ». Le smart contract – contrat intelligent – permet lors de la création d’une relation contractuelle, de noter cet accord d’une manière « notariée ». Et de faire intervenir une information extérieure (à l’image d’un site météo pour un pari), le tout de manière automatique et accessible à tous, ce qui est une possibilité de générer de la confiance. Voici un cas précis : quand un voleur prend de l’argent, on peut retracer ce qu’il en a fait. Ce hackeur a ensuite placé son argent pour obtenir des intérêts. Il a reçu un prêt, qu’il a replacé etc. Il a gagné 300000 dollars en intérêts! Et à un moment, il faut pouvoir sortir de la blockchain.
Julian La Picque, Uncrypted: Qu’est-ce que la blockchain ? Vaste sujet: c’est le sujet base de données qui est au premier plan. Nous aidons les entreprises quand et comment les entreprises peuvent profiter de la blockchain, les aider à trouver un partenaire technologique. La blockchain est donc une base de données, mais une base décentralisée car les différentes parties ont accès aux données de manière simultanée. Est-ce appelé à se développer? On est concerné par les 3D : la digitalisation, la décentralisation et la décarbonisation, car la technologie est plus efficiente. La blockchain répond à ces trois préoccupations. Quel lien avec les cryptomonnaies ? le bitcoin utilise l’écriture digitale de la blockchain – qui est la technologie sous-jacente des bitcoins. Le bitcoin est extrêmement volatil et il dépend totalement du marché. Beaucoup de cryptomonnaies ne présentent pas la stabilité caractéristique d’une monnaie étatique. Avec la jetonisation, on peut ouvrir son capital, comme lors d’une entrée en bourse. C’est donc une possibilité d’avoir un financement externe.
Fabio Regazzi, président de l'usam
Merci d’être venus à ces JRAM. Karin Keller-Suter a rappelé l’importance de regagner la confiance. C’est la priorité absolue. Le débat sur la Suisse comme cancre numérique a montré que nous sommes premiers sur beaucoup de point mais rester vigilante sur le retard à rattraper, en faisant la part belle aux débats. Il ne faut pas numériser pour numériser. La confiance sur la numérisation a montré le rôle de l’usam dans le développement de la formation professionnelle. Il faut collaborer tous azimuts. La sécurité numérique est un facteur important et il faut informer et sensibiliser les PME. Le numérique relève surtout des compétences humaines, en intégrant aussi mieux les femmes dans les IT. Enfin, le monde des cryptomonnaies est fascinant et la Suisse a un rôle important à jouer. Nous sommes aussi très heureux d’avoir pu nous rencontrer en présentiel. Les prochaines JRAM auront lieu jeudi 23 et vendredi 24 juin 2022.
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